LIBERATION (PARIS)
Le samedi 04 mai 2002

Au TPI Milosevic place Rugova en position d´accuse

Témoin à La Haye, le président du Kosovo a affronté un contre-interrogatoire.

Par Jean-Dominique MERCHET

Etranges retrouvailles entre deux ennemis, vendredi, au Tribunal pénal international de La Haye. Slobodan Milosevic et Ibrahim Rugova ne s´étaient pas vus depuis trois ans, le 5 mai 1999 en pleine guerre du Kosovo, quand le président yougoslave avait ostensiblement reçu à Belgrade le leader albanais.

Depuis la roue a tourné. Milosevic est aujourd´hui jugé pour crimes contre l´humanité et Rugova a été élu en mars président du Kosovo.«Gangsters». Pourtant, dans l´enceinte du TPI les rôles étaient une nouvelle fois inversés. Cité comme témoin, Rugova devait en effet répondre aux questions de l´accusé puisque celui-ci a choisi d´assurer lui-même sa défense. L´ambiance est tendue. Succédant au procureur, Milosevic transforme le contre-interrogatoire de «M. Rugova» en une série d´accusations politiques.

Gourmand, Milosevic cite un article du Wall Street Journal qui décrit les membres de l´UCK (la résistance armée albanaise en 1999) comme un ramassis de «gangsters, propriétaires de bordels, de fascistes et de partisans du régime communiste albanais d´Enver Hoxha». «Est-ce une définition exacte?», demande-t-il à un homme qui, au Kosovo, doit aujourd´hui cohabiter tant bien que mal avec les héritiers politiques de l´UCK. «Non, ce ne sont que des articles de journaux», répond Rugova.

«L´UCK est-elle composée de terroristes ?» «Non, leur but était de protéger les gens contre votre armée et votre police.» Milosevic insiste : «En 1998, on vous a remis un prix à Prague ; durant la réception, un des invités albanais a été arrêté pour trafic de drogue.» «Je ne sais pas et ça ne m´intéresse pas», finit par s´emporter Rugova.

Tout y passe au fil des heures : la collusion des Albanais avec les nazis, les meurtres et les «360 000» expulsions de Serbes et autres non-Albanais depuis 1999. Visiblement cette dernière question embarrasse le président du Kosovo qui finit par demander au tribunal qui est vraiment sur le banc des accusés. Il doit toutefois répondre à la demande des magistrats qui souhaitent être «éclairés». «Il y a peut-être eu des meurtres. [...] On n´a pas de chiffres précis», concède-t-il avant de rappeler que «4 000 Albanais sont toujours portés disparus».

«Carrière».

Sommé par le juge de s´en tenir à l´acte d´accusation qui ne court que jusqu´en 1999 (la fin de la guerre du Kosovo), Milosevic s´en prend alors directement à Rugova : «Vous avez bien été membre de la Ligue des communistes de Yougoslavie (l´ancien parti unique, ndlr)?» «Oui, répond le témoin, mais pas par conviction, simplement pour trouver un job.» «Cela vous a donc aidé dans votre carrière à l´université et à la direction de deux journaux en langue albanaise?», demande perfide l´ancien apparatchik communiste. Le président du tribunal s´énerve. L´ancien dirigeant yougoslave tente de faire durer les débats afin de contraindre Rugova à revenir lundi subir un nouveau contre-interrogatoire. Il obtient gain de cause mais pour seulement quatre-vingt-dix minutes. Rugova s´en va sans un regard pour Milosevic.»


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